Age : 15 ans et +
Éditeur : Syros ( 2020 )
500 pages
Note :
Depuis l’enfance, Lilou voue une admiration sans bornes à son père. Elle ne lui trouve aucun défaut. Depuis que la mère de Lilou est hospitalisée, le duo père/fille est plus soudé que jamais. À la demande de son père, Lilou rentre aussitôt après le lycée chaque soir. C’est lui aussi qui lui a conseillé, pour son bien, de cesser de se rendre à l’hôpital : à quoi bon consacrer trop de temps à cette mère fragile ?
Avec tact, les amis de Lilou, qui s’inquiètent pour elle, vont l’aider à appréhender qui est réellement ce père envoûtant, sûr de lui et omniprésent.
Si le terme de « pervers narcissique » pour décrire toute personne qui a une emprise sur une autre s’utilise à toutes les sauces, il n’en est pas moins intéressant de voir que la littérature jeunesse ose enfin aborder le délicat sujet de la relation toxique entre parents et enfants. De mémoire, je ne vois aucun autre livre qui traite de cette thématique si ce n’est peut-être L’Echapée d’Alan Stratton, néanmoins plus axé sur l’emprise et la manipulation amoureuse. Claire Mazard, habituée ( entre autres ) des romans qui touchent aux questions de société et droits de l’enfant a donc mis son talent d’autrice au service de ce sujet qu’on peut qualifier de tabou.
Ainsi, Je te plumerai la tête raconte la prise de conscience de Lilou des multiples manipulations de son père sur sa vie alors que sa mère est gravement malade. C’est en cherchant à comprendre pourquoi son père l’empêche de voir sa mère à l’hôpital et aussi comment elle a pu peu à peu s’éloigner d’elle, que Lilou va mesurer à quel point elle a toujours voué une admiration sans borne à son père et à quel point celui-ci a réussi à la mettre totalement sous son emprise. Mais il faudra bien le temps du roman pour que Lilou, qui raconte cette histoire au fil des jours, parvienne à accepter qu’elle a bel et bien été manipulée et réussisse à se détacher de ce père envoûtant et omniprésent.
J’ai été absorbée par ma lecture de Je te plumerai la tête, Claire Mazard permettant très vite au lecteur de s’identifier à Lilou. Le récit a quasiment l’aspect d’un journal intime et la jeune fille nous partage ses nombreuses sentiments et découvertes sur son père. Lilou passe par toutes sortes d’états qui sont on ne peut plus réalistes face à ce qu’elle vit. On sent que Claire Mazard s’est finement documentée pour être au plus près des émotions de la jeune fille et offrir un récit crédible qui met en scène toutes les étapes de cette prise de conscience.
Claire Mazard insiste notamment avec justesse sur la culpabilisation et la période sombre, quasi dépressive, que Lilou traverse tandis que la jeune fille est forcée de remettre en question ce père si exceptionnel à mesure de ses découvertes. Elle oscille beaucoup entre souvenir de la bienveillance paternelle, bons moments passés avec lui et révélations sur sa véritable nature. Pendant longtemps, Lilou espère se tromper, espère que son père va redevenir tel qu’il était à ses yeux auparavant, mais le lecteur, plus alerte, comprend vite que ce père n’est pas et n’a jamais été très sain pour elle. Admettre cette réalité est difficile et Claire Mazard montre bien dans Je te plumerai la tête, le parcours psychologique chaotique de Lilou à cette période là.
Dans Je te plumerai la tête, comme dans la vraie vie, les personnes extérieures à la famille joue un rôle essentiel dans cette prise de conscience. Sa mère, sa tante, ses amis vont accompagner Lilou sans émettre un jugement trop brutal sur son père. Ils laissent la jeune fille réaliser par elle-même que son père la manipule, conscients que de toute façon, sans passer par ce chemin, Lilou ne les croirait pas et se couperait d’eux. Là aussi, Claire Mazard fait preuve de réalisme même si Lilou a de la chance de croiser des personnes aussi bienveillante sur sa route, car le manipulateur, pervers narcissique, arrive souvent à embobiner tout son entourage. La fin, en ce sens, est optimiste. ATTENTION SPOILER. J’aurais aimé que Claire Mazard insiste aussi sur la manière dont Lilou va parvenir à couper les ponts avec son père car ce n’est pas une évidence et c’est aussi un chemin intérieur lourd, chaotique, culpabilisant, difficile, même si aux yeux des autres, c’est évidemment la bonne décision.
Je te plumerai la tête est un roman qui dérange, met mal à l’aise car il nous confronte à une situation que personne n’aimerait vivre mais il n’en est pas moins essentiel et, comme l’évoque l’autrice à la fin de son livre, former les jeunes à déceler de telles personnalités ne seraient pas de trop. C’est donc très bien d’avoir déjà un roman pour parler avec eux du sujet. En un mot : Indispensable !