La Guerre de 14 n’a pas eu lieu d’Alain Grousset

Age : 12 – 15 ans
Éditeur :  Flammarion jeunesse (2014)
170 pages

Note : 4 out of 5 stars

1914. L’attentat de Sarajevo échoue. La guerre est évitée mais de chaque côté de la France et de l’Allemagne, un mur se construit.
2014. La France et l’Allemagne sont toujours repliées sur elles-mêmes. Les populations vivent comme au début du XXème siècle. Constance, parce qu’elle parle allemand, est recrutée par les services secrets français pour une mission d’importance : récupérer les formules de la bombe atomique en séduisant un physicien Allemand…

Les uchronies sont si rares que lorsque j’ai l’occasion d’en découvrir une, je n’hésite pas longtemps. Alors que le centenaire du début de la Première guerre mondiale ne cesse d’être « fêté », La Guerre de 14 n’a pas eu lieu, est une façon originale de célébrer l’événement. En effet, Alain Grousset imagine tout simplement que la Der des Ders n’a jamais existé ( et de fait, la Seconde guerre mondiale non plus).

L’uchronie est un sous-genre de la science-fiction singulier et intéressant, dans lequel l’auteur peut prendre de larges libertés avec l’Histoire. Alain Grousset nous emmène ainsi dans une France et une Allemagne qui ont conservé les frontières de 1870.
Point d’Union Européenne dans le 2014 de Constance. Point non plus de grandes évolutions sociétales liées à la Première ou à la Deuxième guerre mondiale : les femmes sont toujours considérées comme inférieures, ne travaillent pas pour la plupart et viennent tout juste d’obtenir le droit de vote.
Pour ce qui est de l’économie, les efforts sont surtout fait du côté militaire et les populations sont pauvres et en manque de tout (de longues files d’attente se forment devant les magasins). Pour ce qui est des évolutions technologiques, il y a bien quelques progrès mais ceux-ci sont tournées vers la protection, la défense et la quête de supériorité face à l’ennemi : pas de tablettes, ni de téléphones portables ultra-mordernes, mais plutôt une société qui en 2014 ressemble aux années 1950. Et que dire de cette bombe atomique qui ne pointe le bout de son nez qu’en 2014 ?

J’ai beaucoup aimé découvrir dans La Guerre de 14 n’a pas eu lieu toutes les différences de notre monde et de celui de Constance, même si le revers de la médaille c’est aussi peut-être de laisser croire que les guerres sont une bonne chose pour faire évoluer les consciences, les technologies…Le choix d’avoir fait vivre les personnages dans un monde proche de celui du début du XXème siècle, me laisse donc un peu mitigé même si je comprends le message d’Alain Grousset. Après ce n’est que ma vision personnelle…

Je pense que pour bien comprendre tous les évocations qui sont faîtes dans ce roman très dense sur le plan historique, il est important d’avoir déjà des connaissances basiques sur la Première guerre mondiale et l’évolution de la société au cours du 20ème siècle. Ce qui m’amène à destiner ce livre plutôt à des élèves ayant eu un cours en 3ème sur le sujet car sinon, la dimension historique perd beaucoup de sens et le choix de l’uchronie aussi… Si de par son style, le roman est accessible dés 12 ans, on privilégiera de le donner à ceux qui ont déjà des connaissances sur ces sujets…

Pour ce qui est de l’histoire de La Guerre 14 n’a pas eu lieu, je l’ai trouvé très bien construite et très bien menée. Chaque fin de chapitre me donnait envie de poursuivre et j’ai été bien plus intriguée par l’histoire de Constance que je ne pensais. Surtout, Alain Grousset a réussi à me surprendre en déviant son histoire d’une trajectoire trop facile et mille fois explorée…je ne peux en dire plus mais le roman ne fait pas toujours dans le conventionnel et l’histoire révèle quelques surprises !
La fin m’a un peu déplu car je l’ai trouvé un peu trop « belle » et idéaliste. C’est une fin qui devrait séduire les adolescents mais qui manque à mon sens de crédibilité. Surtout l’épilogue, qui est un peu « too much » et dont je n’ai pas bien compris l’intérêt….

Les lecteurs qui ont une bonne connaissance de la Seconde guerre mondiale feront un rapprochement entre l’histoire de Constance et l’histoire d’un résistant tant on y trouve des similitudes, tout à fait justifiées : faux papiers, espionnage industriel, revue clandestine, fuite en passant par un tunnel, hébergement par d’autres « résistants », mouvement protestataire…

Pour ce qui est du style, je l’ai trouvé très « guindé », si on peut ainsi définir un type d’écriture. J’entends par là qu’Alain Grousset a un ton qui change des autres romans pour adolescents que j’ai pu lire. Par le choix même de ses mots et la manière dont ses personnages parlent, on est immédiatement transporté dans cette ambiance du début XXème, qui n’a rien à voir avec notre 2014. Ce style est un peu déstabilisant je pense pour des jeunes mais il est aussi efficace. C’est un atout précieux pour coller à l’uchronie telle qu’elle est imaginée par Alain Grousset.

En quelques mots :

Cette uchronie atypique nous plonge dans une guerre froide entre la France et l’Allemagne, dans une ambiance qui reste celle du début du XXème siècle. Le style de l’auteur, très « emprunté », contribue pour beaucoup à cette atmosphère particulière.
L’histoire imaginée dans La Guerre de 14 n’a pas eu lieu se lit avec intérêt et un certain engouement pour connaître la suite à chaque fin de chapitre. Constance, héroïne attachante qui a des idées bien tranchées sur sa manière de mener à bien sa mission et construire l’avenir (notamment celui des femmes), nous rappelle dans son parcours les grandes figures de la Résistance lors de la Seconde guerre mondiale.
Alain Grousset propose donc avec La Guerre de 14 n’a pas eu lieu, une uchronie singulière qui demande de la part du lecteur une connaissance de la Première guerre mondiale et de l’ensemble du XXème siècle, pour saisir toutes les allusions historiques. C’est aussi une réflexion intéressante sur la guerre et la manière dont les murs sensés protéger, emprisonnent finalement les Hommes, les libertés et l’évolution de nos sociétés.

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