Age : 15 ans et +
Éditeur : Actes Sud (2007)
670 pages
Note :
Ada rentre au lycée Ernst-Bloch dans l’espoir de rencontrer des gens plus intéressants qu’auparavant. Mais c’est très vite la désillusion dans cet environnement où la jeune fille s’ennuie et s’amuse à entrer en conflit avec les professeurs et les élèves par des remarques glaçantes. Un an plus tard, en 2003, Ada fait la rencontre d’Alev, 18 ans, dans lequel elle voit tout de suite un allié. Alev orchestre avec son aide un jeu pervers qui vise leur professeur de littérature Allemande, Smutek, déjà intrigué par la jeune fille. Ada doit coucher avec Smutek pendant qu’Alev prend des photos. Le schéma se répètera chaque vendredi, bouleversant à jamais la vie des trois joueurs jusqu’au choc final…
Lorsqu’on a ce pavé entre les mains, à l’écriture serrée qui rappellerait les romans de Proust (je parle ici de l’édition poche) on a l’impression que La Fille sans qualités va être une lecture fastidieuse même si le résumé nous pousse à ouvrir l’ouvrage. Au final, et après une lecture longue mais acharnée, je dois dire que le roman ne se referme pas aisément car au fil des pages nous nous sommes totalement immergés dans le quotidien d’Ada, Alev et Smutek, dans l’atmosphère pesante qui se dégage de La Fille sans qualités.
Le livre n’est pas pour les âmes sensibles, clairement à destination d’un public au moins âgé de 15 ans et averti de son contenu. Certaines scènes sont assez explicites en matière du jeu sexuel qui s’installe entre les trois protagonistes. Juli Zeh n’hésite pas à employer un langage cru, à la limite du roman très érotique (pour ne pas dire pornographique), sans pour autant raconter ces scènes juste pour le plaisir de les écrire. Le but est affiché : tourmenter le lecteur, susciter la polémique, la protestation, le dégoût voire le rejet. Et surtout comprendre le personnage ambigu d’Ada qui ne ressent dans ces moments là absolument rien.
Ada, c’est sans doute elle le personnage le plus étrange de La Fille sans qualités, et c’est pour cette raison que c’est sur elle que le titre est centré. Froide, nihiliste, au caractère bien trempé et dérangeant, elle affronte la réalité avec un manichéisme à glacer le sang. Lorsque les événements se produisent, elle a 15 ans, ne ressent rien lorsqu’elle fait l’amour et semble dans les bras de Smutek une poupée de chiffon. Sous l’emprise d’Alev, personnage tout aussi troublant par son caractère pervers et son amour pour le jeu, Ada est une marionnette, comme la désigne les autres élèves du lycée au début de sa première année à Ernst-Bloch. C’est lui qu’Ada aime, plus que Smutek, du moins jusqu’à voir qu’elle ne représente rien d’autre pour lui qu’un pion sur un échiquier.
Enfin, Smutek, le dernier personnage principal de ce roman, d’origine Polonaise, marqué par l’Histoire et dont la vie dérape petit-à-petit tandis que sa femme sombre dans la dépression et que son collègue d’Histoire et ami Höfi se suicide. Ada et Alev profitent de ce moment de faiblesse pour mettre à exécution leur plan machiavélique et l’enfermer dans une boucle de chantage dans lequel on ne sait pas s’il prend ou non plaisir à entrer. D’abord forcé d’obéir aux lois du jeu des deux lycéens, il tombe amoureux d’Ada ce qui le conduira sur les bancs du tribunal.
D’ailleurs revenons un peu sur la construction de La Fille sans qualités. Le roman est introduit par un préambule dans lequel une juge, Sophie, prend la parole. C’est elle qui est en charge de l’instruction de l’affaire dont le lecteur ignore encore tout. Une chose est sûre, le cas est difficile à juger et la fin de ce prologue pose une question qui devra alimenter toute la réflexion autour du récit : « Si tout cela n’est qu’un jeu, nous sommes perdus – Sinon, c’est pire« . Et il est vrai que l’histoire racontée dans La Fille sans qualités à de quoi pétrifier le lecteur, tant tout semble n’être que le produit d’un jeu froid et inventé que pour le simple divertissement de son créateur, Alev, qui manie les ficelles de chaque personnage évoluant autour de lui. Pour le reste, le récit se construit autour de chapitres brefs, d’une dizaine de pages, qui permettent une lecture fluide et qui rythme en même temps les événements.
La Fille sans qualités ne laisse donc pas de marbre : soit on est conquis par le texte, l’écriture brillante de Juli Zeh, soit au contraire on est révulsé par tant de perversité et par cette écriture au couteau. Pour ma part j’ai aimé cette histoire même si certains côtés m’ont dérangée, malmenée, mais c’est aussi ce qui fait la force de La Fille sans qualités.
Le roman en dépit de son épaisseur se lit bien et captive car après une présentation détaillée de la vie et du caractère très singulier d’Ada, la rencontre avec Alev et la première « séance » avec Smutek, on a envie de continuer à suivre le parcours que Juli Zeh nous propose jusqu’au final. Ce dernier est traité rapidement, et nous malmène plus encore que tout le roman, par une condamnation qui aura de quoi surprendre. La Fille sans qualités est un livre dont on se souvient, qui marque l’esprit, jouant avec le sentiment amoureux, à la manière moderne des Liaisons Dangereuses de Laclos. Le fond de tout ce roman reposerait sur l’existence et la définition du juste et de l’injuste, questions éminemment philosophiques, à l’image des personnages d’Ada et Alev. Quoi qu’il en soit cette auteur m’a plu et je pense que je me laisserais tenter un jour par la lecture de ses autres romans, je vous invite donc à la découvrir à votre tour.